28.10.13

Le Cameroun-FMI: Et le mic mac sur 60 millions de $ transférés aux Iles Caïmans


Publié le 20-10-2013  |  (Paris - France). Auteur : Fanny Pigeaud/Jérôme Canard- Mediapart/ Canard enchainé

Le  Cameroun-FMI: Et le mic mac sur 60 millions de $ transférés aux Iles Caïmans
 © Fanny Pigeaud/Jérôme Canard- Mediapart/ Canard enchainé
Le Cameroun-FMI: Et le mic mac sur 60 millions de $ transférés aux Iles Caïmans


Au Cameroun, un projet minier qui n'a jamais vu le jour a englouti 60 millions de dollars, via notamment des paradis fiscaux. Avec l'appui du gouvernement mais aussi du Fonds monétaire international. Une plainte est déposée.Pour la première fois de son histoire, le Fonds monétaire international (FMI) risque de devoir répondre de ses actes devant un tribunal.

Et pas pour des broutilles: un juge américain l'accuse, entre autres, de complicité d'escroquerie dans une affaire minière au Cameroun. Il y en a pour plusieurs dizainess de millions de dollars.
L'histoire est résumée dans une lettre ouverte qu'une trentaine d'associations de développement viennent d'adresser à Christine Lagarde, la patronne du FMI. La missive aurait dû être sagement classée dans un tiroir. Au nom de la sacro-sainte immunité qui protège, comme d'autres organismes internationaux, le grand machin de Washington. Mais un juge de la capitale, Emmet Sullivan, a estimé, il y a quelques semaines, que cette protection devait être levée.
Virées aux îles Caïmans
L'affaire qui provoque ce remue-ménage date de 2008, sous l'ère DSK. Tout part, comme l'a raconté « Mediapart » (24/4), de l'autorisation donnée par le FMI au gouvernement du Cameroun - dont il contrôlait de près les finances - d'investir 60 millions de dollars dans un projet minier. Il s'agissait d'accélérer la mise en exploitation d'une mine de nickel-cobalt dans le sud-est du pays. GeoCam, filiale d'une société américaine, devait exploiter ce gisement.
Mais l'opération s'est révélée être une belle arnaque: une partie des 60 millions a été gaspillée en frais divers (logements de luxe, voitures, etc.), et le reste s'est retrouvé sur les comptes d'une société domiciliée aux îles Caïmans. Et, surtout, l'exploitation de la mine n'a jamais démarré.
Pour contester, dans ce cas précis, l'immunité traditionnelle du FMI, le juge américain s'appuie sur un dérapage commis par l'institution. L'un de ses cadres, Eugène Nyambal, avait dénoncé le laxisme de ses patrons dans l'affaire camerounaise et porté plainte. Le Fonds monétaire international l'a d'abord viré, avant de s'en prendre à la banque qui abritait ses comptes!
Le FMI avait pourtant les moyens de voir que le projet de GeoCam allait au fiasco : tout indiquait que sa maison mère, la société américaine Geovic Mining Corp, n'avait aucune expérience en matière d'exploitation minière. Les liens sulfureux établis avec des élites politiques camerounaises (dont certaines sont devenues actionnaires de l'affaire) auraient aussi dû alerter l'institution financière, tout comme l'opacité autour du secteur minier au Cameroun, l'un des pays les plus corrompus du monde.
La caution de DSK
Circonstance aggravante après avoir donné.JlOn feu vert au gouvernement camerounais, le FMI n'a effectué aucun suivi du projet. Depuis, il s'acharne à nier l'évidence: il n'y a rien eu d'anormal, selon lui, ni dans le licenciement de Nyambal ni autour du projet de GeoCam. Et de brandir deux audits lancés en 2009 et en 2010 par ... le FMI.
Problème : le premier a été réalisé par un cabinet d'avocats qui a oublié d'interroger Nyambal et a refusé de communiquer le rapport. Quant au second, il a été mené par des cadres du FMI désignés par DSK. Or celuici n'était pas un modèle d'impartialité : son communicant, Stéphane Fouks, était aussi celui du président camerounais, Paul Biya. Et Euro RSCG, l'employeur de Fouks, était également sous contrat avec le FMI...
Dans leur lettre adressée à Lagarde, qui n'a pas bougé d'un pouce, les associations humanitaires demandent avec un bel optimisme au FMI s'il existe « des mécanismes susceptibles à'aider le Cameroun à récupérer´les sommes indûment versées ".
Mais les responsables de Geovic, la maison mère, n'ont pas ce souci. Après avoir pompé l'argent public camerounais, ils ont revendu, en juillet, toutes leurs parts dans Geocam (ils en détenaient 60,5 %) à une société chinoise, en réalisant une jolie plusvalue.
Qui dit que l'Afrique n'est pas un paradis des affaires?
Schéma sur l'organisation de Geovic, qui provient d'un document de la UNITED STATES SECURITIES AND EXCHANGE COMMISSION
Geovic Mining Corp. dit elle-même dans ses différents rapports financiers, y compris ceux de 2007 et de 2008, que rien ne garantit qu’elle générera un jour des bénéfices et même qu’elle pourra mettre en production Nkamouna : « Nous sommes une société en phase d'exploration et n'avons pas d'antécédents d'exploitation en tant que société d'exploitation. Toutes les recettes et les bénéfices futurs sont incertains », écrit-elDépenses fictives ?
Dans sa plainte contre le FMI, Nyambal soulève un autre problème : GeoCam a obtenu en 2003, par décret présidentiel, son permis d’exploitation du gisement de Nkamouna en violation de la Convention minière signée avec le Cameroun. Selon cette dernière, l’entreprise avait en effet l’obligation de présenter une étude de faisabilité, ce qu’elle n’a pas fait. L’étude en question n’a été réalisée qu’en 2011.
Autre souci : le flou entourant l’identité des actionnaires camerounais de GeoCam, qui possédaient au début du projet près de 40% des parts de l’entreprise. En 2008, le gouvernement camerounais a, selon GAP, refusé de communiquer au FMI leurs noms. Il est apparu plus tard qu’ils étaient quatre : Jean-Marie Aleokol, secrétaire d’Etat à la Défense de 2004 à 2007 et proche du président Biya. Les autres sont un couple d’inconnus et une nièce d’un ancien Premier ministre, Simon Achidi Achu, président depuis 2003 du conseil d'administration de la Société nationale d’investissements (SNI), une agence d’investissements de l’Etat camerounais.
En 2006, le Cameroun est devenu actionnaire à 39,5% de GeoCam en rachetant, justement via la SNI, les parts de ces quatre privés camerounais : une partie (20%) pour lui et l'autre au portage pour le compte de ces citoyens. Il s’est également engagé à contribuer aux augmentations de capital pour ces derniers. Or, remarque GAP dans un de ses rapports envoyés au FMI, les lois camerounaises n’autorisent pas l’Etat à acheter des actions pour le compte d’individus. Il s’agit donc d’une mesure illégale qui s’apparente à un détournement de fonds publics.
Juste après que le Cameroun est devenu actionnaire de GeoCam, Geovic Mining Corp. lui a réclamé 81 millions de dollars pour des dépenses pré-opérationnelles engagées avant son entrée dans le projet, précise un rapport de la SNI datant de 2007 et fourni au FMI. Devant les protestations de Yaoundé, Geovic a accepté un remboursement de seulement 31 millions de dollars, sans que la différence de 50 millions n'apparaisse dans ses états financiers, ce qui laisse penser qu’au moins une partie des dépenses annoncées par Geovic Mining Corp. étaient fictives, souligne Nyambal. « L'actionnaire minoritaire, l’Etat du Cameroun, s’est retrouvé en train de supporter les frais imputables à l'actionnaire majoritaire », déplore-t-il.
Le même document de la SNI rapporte que GeoCam n’avait en 2006 pas de « plan de financement crédible » et que son projet d’exploitation avait « souffert depuis sa création d’une gestion qui n’intégrait pas toujours les principes d’une programmation rigoureuse ». En 2008, le gouvernement camerounais évoquait de son côté dans une lettre au FMI les « retards déjà accumulés » dans le projet d’exploitation de Nkamouna.
Extrait du document fourni par la SNI au gouvernement
Nyambal et GAP ne sont pas les seuls à avoir noté des dysfonctionnements chez GeoCam : dans des articles diffusés en 2006 et 2007 (par exemple ici) et transmis notamment à la Banque mondiale et au FMI, un chercheur indépendant, Arnaud Labrousse, relevait plusieurs anomalies, en particulier dans le versement des impôts de l’entreprise à l’Etat camerounais, et retraçait le parcours sulfureux de certains de ses responsables et actionnaires américains, dont le fondateur de Geovic Mining Corp., William A. Bukovic.
ONG
Malgré ces données préoccupantes, le FMI a autorisé le gouvernement camerounais à injecter de l’argent dans GeoCam comme le prouve la « lettre d’intention » adressée fin 2008 par le Premier ministre camerounais au directeur du Fonds d’alors, Dominique Strauss-Kahn. Le Cameroun étant à l’époque sous « ajustement structurel », ses finances publiques étaient sous tutelle du FMI : il ne pouvait réaliser une telle opération sans son accord. En tout, le Cameroun a versé 60 millions de dollars à GeoCam, selon un document du FMI. Cette somme a été prélevée sur des fonds issus des surplus pétroliers et normalement destinés à la lutte contre la pauvreté.
Pour quel résultat ? Plus de quatre ans plus tard, l’exploitation du gisement de Nkamouna n’a toujours pas démarré. Depuis fin 2009, « rien n'a bougé sur le terrain », témoigne même un ancien employé de GeoCam, qui évoque des problèmes de corruption et l’enrichissement illicite des responsables de la compagnie. « Les budgets de 11 millions de dollars annuels ont été gaspillés à entretenir sur place des géologues et un peu de personnel d'entretien.
A Yaoundé, les somptueuses villas louées par l’entreprise sont restées avec un personnel inutile », dit-il. Un des derniers directeurs généraux de GeoCam s’est même volatilisé fin août 2012 après avoir ponctionné une dernière fois l’entreprise de plusieurs milliers d’euros. Quant aux salaires des employés américains de Geovic Mining Corp., qui enregistrait pourtant des pertes, ils ont été augmentés. L’entreprise a aussi passé au moins un contrat avec une société appartenant à un membre de son Conseil d’administration, selon ses rapports financiers.
Au Cameroun, l’opinion publique ne sait rien de cette affaire crapuleuse. Il faut dire que Geovic Mining Corp. a de nombreux appuis grâce aux liens étroits qu’elle a noués avec plusieurs responsables politiques camerounais, dont des ministres. En 2008, le directeur de GeoCam était Richard Howe, un ressortissant britannique très influent dans le monde des affaires camerounais et proche de plusieurs barons du régime. Geovic Mining Corp. a en outre créé une ONG, GeoAid, dont le partenaire principal est la Fondation Chantal Biya, fondée par l’épouse du président Biya.
Les Camerounais ignorent donc que GeoCam a déjà coûté, selon les estimations de Nyambal, près de 100 millions de dollars à l’Etat et qu’une partie de cet argent a pris la direction des îles Caïmans : après l’entrée du Cameroun dans le capital de GeoCam, en 2006, Geovic Mining Corp. a transféré dans ce paradis fiscal le siège d’une de ses filiales, Geovic Ltd, qui possède comme elle 60% de GeoCam et sert ainsi de société écran.
En réalité, Geovic Mining Corp. n’a jamais eu l’intention d’exploiter le gisement de Nkamouna, affirme, comme d’autres, l’ancien salarié de GeoCam déjà cité. Les fonds publics camerounais lui ont notamment servi à réaliser les études de faisabilité manquantes afin de « paraître plus crédible » et « de faire monter les actions à la bourse de Toronto », au Canada, et à l'US Over-the-Counter Bulletin Board, aux Etats-Unis, où la société est cotée (bien que, selon un rapport du cabinet d’audit Ernst & Young, le dispositif de contrôle interne de Geovic Mining Corp., destiné à assurer l'exactitude et la fiabilité de l'information financière, souffre « d’importantes faiblesses »). Objectif final : revendre à un autre opérateur, en réalisant bien sûr au passage une plus-value. Des négociations sont ainsi actuellement en cours avec des Chinois.
Le FMI n’a pour sa part rien constaté d’anormal dans ce micmac. Interrogé par Mediapart sur les soupçons de malversations entourant GeoCam, un porte-parole de l’institution à Washington explique : « Le FMI prend toutes ces allégations très au sérieux et, sur instruction de la direction du FMI, une équipe du personnel, avec l'appui d'experts extérieurs, a mené une enquête. Cette équipe a (…) conclu que les allégations étaient sans fondement ».
Curiosités
Saisi par Nyambal, le FMI a en effet diligenté deux enquêtes. La première a été menée par un cabinet indépendant. Il n’a décelé aucune irrégularité mais sans avoir malheureusement jamais rencontré Nyambal à qui il a refusé de communiquer son rapport.
La seconde a été conduite en 2010 par une équipe interne au FMI qui est arrivée aux mêmes conclusions. Le résumé de son rapport – son contenu complet est lui aussi resté confidentiel – comporte toutefois plusieurs curiosités. Il affirme par exemple que le FMI a été mis devant le « fait accompli » par le gouvernement camerounais pour l'opération de financement de GeoCam, ce qui contredit la « lettre d’intention » de fin 2008 et aurait dû, si cela avait été vraiment le cas, entraîner des sanctions de la part du Fonds.
« Il est important de souligner que les résultats de l'enquête ne permettent pas de conclure avec une certitude absolue qu’il n’y a pas eu de corruption autour du projet de cobalt-nickel », dit tout de même le document. Mais il poursuit en affirmant que des recherches supplémentaires n’apporteraient sans doute pas d’élément susceptible de modifier ses conclusions générales. Il « recommande » par conséquent de ne prendre aucune mesure pour lancer une enquête complémentaire…
La première page du rapport du FMI© dr

Pour GAP, l’enquête du FMI n’a pas été impartiale. L’équipe qui l’a menée « a été désignée par M. Strauss-Kahn », or celui-ci « avait un conflit d’intérêts dans cette affaire », relève une responsable de l’ONG, Shelley Walden : « En 2009, M. Biya a fait appel aux services de Stéphane Fouks, lobbyiste de premier plan et stratège en communication, afin d'améliorer son image et la réputation de son pays après une plainte pour détournement de fonds publics déposée contre lui par une ONG basée à Paris ». Problème, « M. Fouks pilotait alors aussi la communication de M. Strauss-Kahn en vue de l’élection présidentielle de 2012 en France. » (Lire la lettre de GAP à Christine Lagarde qui relève les contradictions du FMI ici.)
Le résumé du rapport d’enquête du FMI est « entaché de graves lacunes » et cherche à plusieurs reprises à entamer la crédibilité de Nyambal, juge aussi GAP, qui reproche à l’institution financière de ne pas avoir fait un suivi sérieux du projet GeoCam et de ne pas avoir pris de mesures correctives.
N’obtenant pas de réponse satisfaisante de la part de son ancien employeur, Nyambal s’est donc résolu à déposer une plainte devant la justice en juin 2012. « Le Fonds jouit d’une immunité absolue contre toute forme de procédure judiciaire », a répondu en décembre le cabinet d’avocat du FMI (lire ici). Celui de Nyambal a depuis soulevé une exception à cette immunité qu’il espère voir retenue par le tribunal.

Copyright © Fanny Pigeaud/Jérôme Canard- Mediapart/ Canard enchainé, Paris - France  |  20-10-2013


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Alternative


22.10.13

Le Cameroun déclaré «Pays conforme» à l’Initiative de transparence dans les industries extractives (ITIE)

Emmanuel Bondé, ministre camerounais des Mines, de l'industrie et du Développement technologique.
Emmanuel Bondé, ministre camerounais des Mines, de l'industrie et du Développement technologique.

(Agence Ecofin) - Le Conseil d’administration du Comité international de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE) a déclaré le Cameroun «Pays conforme» à l’ITIE, le 17 octobre 2013, a appris l’agence Ecofin de sources officielles. Le Cameroun se présentait à cet examen de passage pour la dernière fois, après deux premières tentatives sanctionnées par des échecs.
Le statut de «Pays conforme» à l’ITIE permet au Cameroun, explique un membre du comité national de mise en œuvre de l’ITIE, de rassurer les investisseurs sur la pratique de la transparence dans la gestion des affaires dans le pays. C’est, apprend-on aussi, un indicateur positif de l’amélioration du climat des affaires.
C’est en 2005 que le Cameroun a adhéré à l’ITIE, une initiative de la Banque mondiale et de la société civile internationale (qui avait déclenché le mouvement ‘’Publish what you pay’’), visant à encourager les pays à publier les volumes et les montants des retombées financières de l’exploitation des ressources minières.
Dès l’adhésion volontaire à cette initiative, le pays reçoit le statut de «Pays candidat», et entame alors un processus qui intègre, par exemple, la publication grand public des rapports de conciliation des chiffres et volumes, qui sont ensuite soumis à la validation du Comité international ITIE. Ce comité analyse les résultats du pays candidat sur la base de 20 principaux critères. Lors de son avant-dernier examen de passage, le Cameroun avait été recalé pour non validation de quatre critères, parmi lesquels le défaut de communication grand public autour des rapports de conciliation rendus publics.
Ces insuffisances ont été corrigées, selon le dernier verdict du Comité international ITIE, qui a décidé d’admettre le Cameroun sur la liste très prisées des «Pays conformes». Et pour garder ce statut, apprend-on, les performances qui ont conduit à cette admission dans le cercle fermé de la conformité doivent être maintenues.

BRM

18.10.13

Cameroun : Le parc national de la Bénoué abandonné aux orpailleurs

 © L’Oeil du Sahel : Yvonne SALAMATOU

Cameroun  : Le parc national de la Bénoué abandonné aux orpailleurs:Cameroon

La Bénoué n’a plus rien d’une aire protégée. Il est désormais un immense chantier d’extraction de l’or. Des milliers de trous de quinze à vingt mètres de profondeur sont creusés à l’intérieur du parc par les orpailleurs au mépris des textes en vigueur. Le parc n’existe plus que sur le papier. La faune et la flore ont laissé place aux camps d’habitation des orpailleurs», résume Bouba Djihé, un riverain. C’est que plus de 12.000 orpailleurs ont envahi le parc et y mènent allègrement leurs activités.
2.000 à 3000 appareils détecteurs d’or et autres motopompes ronronnent à longueur de journée comme pour couvrir les règles interdisant toute présence humaine dans les aires protégées. Munis de pioches, de pelles, de houes et des barres à mine, les ouvriers centrafricains et tchadiens fouillent le sol. Ici, les différents chantiers sont baptisés en fonction de leur productivité. Les plus célèbres se nomment «Chantiers million de Doudja», «Grand chantier de Mboukma», «Douala», «Yaoundé» et «Gabon». «Nous produisons en moyenne 1 kilogramme d’or par jour. Pour ce qui est du partage, le propriétaire de l’appareil détecteur récupère la moitié de la vente de la production, le reste revient au chef d’équipe et aux ouvriers.
Le kilogramme d’or se vend à 22.000.000 de franc Cfa. Donc, lorsque nous vendons un kilogramme, nous gagnons entre 9 et 10.000.000 Fcfa en fonction de la quote-part du démarcheur qui facilite la transaction», précise Abba Sadjo, détecteur d’or à «Grand chantier de Mboukma». «Les transactions se déroulent à Mboukma, Lasséré, Bandjouckri, Djarandi et Doudja situés dans la zone d’intérêt cynégétique n°2. Les plus gros clients viennent du Tchad, du Gabon et du Niger», poursuit Abba Sadjo.
Plusieurs acteurs interviennent au quotidien dans la chaine de l’exploitation de l’or. Outre les ouvriers qui effectuent les tâches les plus difficiles, il y a les démarcheurs qui jouent le rôle d’interface entre producteurs et acheteurs, et les investisseurs qui misent leurs fonds. Ce sont  ces derniers qui achètent les appareils détecteurs et les motopompes pour les mettre à la disposition des chefs d’équipe d’exploitation. «Tous les appareils utilisés dans la quasi-totalité des chantiers du parc national de la Bénoué appartiennent aux étrangers, notamment aux Tchadiens. Ali Mahamat et Oumar, tous deux Tchadiens, gèrent le chantier d’exploitation de Djarandi. Leurs compatriotes, Alhadji Abakar et Mahamat Abdoulaye, contrôlent le grand chantier de Mboukma.
Ils investissent de plus en plus dans des appareils modernes. Les appareils détecteurs PGX 4500 et T2 sont les plus sollicités de nos jours», déclare un orpailleur de Bandjouckri. 

DÉMISSION
L’invasion du parc national de la Bénoué par les orpailleurs va à l’encontre de la politique du gouvernement. On se souvient que le Cameroun avait pris l’engagement d’oeuvrer pour le développement durable du secteur forestier lors du sommet de Yaoundé sur la conservation et la gestion durable des forêts du bassin du Congo. Il s’était fixé pour objectif de créer un domaine forestier devant couvrir 30% du territoire national et comportant entre autres des concessions forestières, des réserves forestières et des aires protégées. La création des nouvelles aires protégées nationales ou transfrontalières étaient également envisagée.
Le désengagement de l’État dans la gestion et la conservation du parc national de la Bénoué, classé patrimoine de l’Unesco de 1981, inquiète nombre de riverains. «Cette situation est connue des autorités administratives depuis plusieurs années. Des rapports ont été transmis à la hiérarchie, mais tous sont restés lettres mortes», regrette un responsable à la délégation régionale des Forêts et de la faune du Nord. En juin 2009, Saleh Adam, alors conservateur du Parc, s’indignait déjà dans un rapport d’évaluation adressée à sa hiérarchie. «Les parcs nationaux et les zones d’Intérêts cynégétique au Cameroun sont des aires protégées. De ce fait, nul n’a le droit d’y circuler ou d’y pratiquer des activités sans une autorisation signée du ministre des Forêts et de la faune. Or ici dans le Mayo-Rey, cette loi est foulée aux pieds, méprisée, en dépit des campagnes de sensibilisation menées par les administrations techniques locales. C’est ainsi que depuis un certain temps, le parc national de la Bénoué et la ZIC  09 subissent une forte pression des individus qui y sont installés et mènent des activités illégales (exploitation de l’or, de la forêt et de la faune)», pouvaiton lire dans son document.
Malgré ces cris d’alarme, le gouvernement n’a pas remué le petit doigt. Aujourd’hui, la situation ne fait que s’empirer. Les chercheurs d’or centrafricains et tchadiens déferlent sur le parc. «La situation du parc national de la Bénoué n’est pas facile à gérer de nos jours. C’est regrettable pour un pays comme le nôtre de connaitre de tels phénomènes. Nous n’avons pas connu de guerre, nous n’avons pas connu de famine comme  dans d’autres États pour dire que c’est par la force des événements que nous en sommes arrivés là. Nous n’avons pas non plus atteint le ratio de 30% des réserves et aires protégées que nous nous sommes fixés, mais bradons déjà ce que nous avons construit pendant des décennies.
S’il est facile de faire déguerpir les orpailleurs puisqu’il suffit d’une simple volonté politique, il n’est cependant pas facile de ramener dans le parc tous ces animaux chassés. Or, c’est grâce aux espèces rares qui s’y trouvaient que ce parc a été classé patrimoine de l’Unesco en 1981», s’indigne un responsable de la délégation régional des forêts et de la faune du Nord. 

INTÉRÊTS
les intérêts que génère aux autorités administratives et traditionnelles l’exploitation de l’or. «Le conservateur du parc et ses collaborateurs, de même que les autorités administratives, passent régulièrement ici. Ils ne sont pas trop exigeants et acceptent ce que nous leur proposons. Le lamido quant à lui nous a imposé des taxes à payer toutes les deux semaines. Il est de 25.000 Fcfa par appareil PGX 4500 et 15.000 pour les T2 soit 50.000 Fcfa par mois pour les PGX et 30.000 Fcfa pour les T2.
Ses dogaris veillent au grain et les montants ainsi arrêtés ne sont pas négociables. Les tenancières des restaurants quant à elles déboursent mensuellement 20.000 Fcfa soit 10.000 toutes les deux semaines. Au regard du nombre d’appareils en service dans le parc qui avoisine les 400, il est  clair que cette activité rapporte un petit pactole au lamido» déclare Abdoul Bagui, chef d’équipe au «chantier million ». Les dogaris Hassana Ngnabai, Vaidjouma Flaubert et Bah Oumarou et l’adjoint au maire sortant Bello Liman sont les collecteurs d’impôts affectés à cette tâche par le lamido.
En attendant que le gouvernement prenne ses responsabilités au moment où la communauté internationale exhorte les États à oeuvrer pour la conservation et la protection de la biodiversité, le lamido de Rey-Bouba et les autorités administratives continuent de se frotter les mains. 

© L’Oeil du Sahel : YVONNE SALAMATOU