© L’Oeil du Sahel : Yvonne SALAMATOU
La Bénoué n’a plus rien d’une aire protégée. Il
est désormais un immense chantier d’extraction de l’or. Des milliers de
trous de quinze à vingt mètres de profondeur sont creusés à l’intérieur
du parc par les orpailleurs au mépris des textes en vigueur. Le parc
n’existe plus que sur le papier. La faune et la flore ont laissé place
aux camps d’habitation des orpailleurs», résume Bouba Djihé, un
riverain. C’est que plus de 12.000 orpailleurs ont envahi le parc et y
mènent allègrement leurs activités.
2.000 à 3000 appareils détecteurs d’or et autres
motopompes ronronnent à longueur de journée comme pour couvrir les
règles interdisant toute présence humaine dans les aires protégées.
Munis de pioches, de pelles, de houes et des barres à mine, les ouvriers
centrafricains et tchadiens fouillent le sol. Ici, les différents
chantiers sont baptisés en fonction de leur productivité. Les plus
célèbres se nomment «Chantiers million de Doudja», «Grand chantier de
Mboukma», «Douala», «Yaoundé» et «Gabon». «Nous produisons en moyenne 1
kilogramme d’or par jour. Pour ce qui est du partage, le propriétaire de
l’appareil détecteur récupère la moitié de la vente de la production,
le reste revient au chef d’équipe et aux ouvriers.
Le kilogramme d’or se vend à 22.000.000 de franc
Cfa. Donc, lorsque nous vendons un kilogramme, nous gagnons entre 9 et
10.000.000 Fcfa en fonction de la quote-part du démarcheur qui facilite
la transaction», précise Abba Sadjo, détecteur d’or à «Grand chantier de
Mboukma». «Les transactions se déroulent à Mboukma, Lasséré,
Bandjouckri, Djarandi et Doudja situés dans la zone d’intérêt
cynégétique n°2. Les plus gros clients viennent du Tchad, du Gabon et du
Niger», poursuit Abba Sadjo.
Plusieurs acteurs interviennent au quotidien dans
la chaine de l’exploitation de l’or. Outre les ouvriers qui effectuent
les tâches les plus difficiles, il y a les démarcheurs qui jouent le
rôle d’interface entre producteurs et acheteurs, et les investisseurs
qui misent leurs fonds. Ce sont ces derniers qui achètent les appareils
détecteurs et les motopompes pour les mettre à la disposition des chefs
d’équipe d’exploitation. «Tous les appareils utilisés dans la
quasi-totalité des chantiers du parc national de la Bénoué appartiennent
aux étrangers, notamment aux Tchadiens. Ali Mahamat et Oumar, tous deux
Tchadiens, gèrent le chantier d’exploitation de Djarandi. Leurs
compatriotes, Alhadji Abakar et Mahamat Abdoulaye, contrôlent le grand
chantier de Mboukma.
Ils investissent de plus en plus dans des
appareils modernes. Les appareils détecteurs PGX 4500 et T2 sont les
plus sollicités de nos jours», déclare un orpailleur de Bandjouckri.
DÉMISSION
L’invasion du parc national de la Bénoué par les
orpailleurs va à l’encontre de la politique du gouvernement. On se
souvient que le Cameroun avait pris l’engagement d’oeuvrer pour le
développement durable du secteur forestier lors du sommet de Yaoundé sur
la conservation et la gestion durable des forêts du bassin du Congo. Il
s’était fixé pour objectif de créer un domaine forestier devant couvrir
30% du territoire national et comportant entre autres des concessions
forestières, des réserves forestières et des aires protégées. La
création des nouvelles aires protégées nationales ou transfrontalières
étaient également envisagée.
Le désengagement de l’État dans la gestion et la
conservation du parc national de la Bénoué, classé patrimoine de
l’Unesco de 1981, inquiète nombre de riverains. «Cette situation est
connue des autorités administratives depuis plusieurs années. Des
rapports ont été transmis à la hiérarchie, mais tous sont restés lettres
mortes», regrette un responsable à la délégation régionale des Forêts
et de la faune du Nord. En juin 2009, Saleh Adam, alors conservateur du
Parc, s’indignait déjà dans un rapport d’évaluation adressée à sa
hiérarchie. «Les parcs nationaux et les zones d’Intérêts cynégétique au
Cameroun sont des aires protégées. De ce fait, nul n’a le droit d’y
circuler ou d’y pratiquer des activités sans une autorisation signée du
ministre des Forêts et de la faune. Or ici dans le Mayo-Rey, cette loi
est foulée aux pieds, méprisée, en dépit des campagnes de
sensibilisation menées par les administrations techniques locales. C’est
ainsi que depuis un certain temps, le parc national de la Bénoué et la
ZIC 09 subissent une forte pression des individus qui y sont installés
et mènent des activités illégales (exploitation de l’or, de la forêt et
de la faune)», pouvaiton lire dans son document.
Malgré ces cris d’alarme, le gouvernement n’a pas
remué le petit doigt. Aujourd’hui, la situation ne fait que s’empirer.
Les chercheurs d’or centrafricains et tchadiens déferlent sur le parc.
«La situation du parc national de la Bénoué n’est pas facile à gérer de
nos jours. C’est regrettable pour un pays comme le nôtre de connaitre de
tels phénomènes. Nous n’avons pas connu de guerre, nous n’avons pas
connu de famine comme dans d’autres États pour dire que c’est par la
force des événements que nous en sommes arrivés là. Nous n’avons pas non
plus atteint le ratio de 30% des réserves et aires protégées que nous
nous sommes fixés, mais bradons déjà ce que nous avons construit pendant
des décennies.
S’il est facile de faire déguerpir les orpailleurs
puisqu’il suffit d’une simple volonté politique, il n’est cependant pas
facile de ramener dans le parc tous ces animaux chassés. Or, c’est
grâce aux espèces rares qui s’y trouvaient que ce parc a été classé
patrimoine de l’Unesco en 1981», s’indigne un responsable de la
délégation régional des forêts et de la faune du Nord.
INTÉRÊTS
les intérêts que génère aux
autorités administratives et traditionnelles l’exploitation de l’or. «Le
conservateur du parc et ses collaborateurs, de même que les autorités
administratives, passent régulièrement ici. Ils ne sont pas trop
exigeants et acceptent ce que nous leur proposons. Le lamido quant à lui
nous a imposé des taxes à payer toutes les deux semaines. Il est de
25.000 Fcfa par appareil PGX 4500 et 15.000 pour les T2 soit 50.000 Fcfa
par mois pour les PGX et 30.000 Fcfa pour les T2.
Ses dogaris veillent au grain et les montants
ainsi arrêtés ne sont pas négociables. Les tenancières des restaurants
quant à elles déboursent mensuellement 20.000 Fcfa soit 10.000 toutes
les deux semaines. Au regard du nombre d’appareils en service dans le
parc qui avoisine les 400, il est clair que cette activité rapporte un
petit pactole au lamido» déclare Abdoul Bagui, chef d’équipe au
«chantier million ». Les dogaris Hassana Ngnabai, Vaidjouma Flaubert et
Bah Oumarou et l’adjoint au maire sortant Bello Liman sont les
collecteurs d’impôts affectés à cette tâche par le lamido.
En attendant que le gouvernement prenne ses
responsabilités au moment où la communauté internationale exhorte les
États à oeuvrer pour la conservation et la protection de la
biodiversité, le lamido de Rey-Bouba et les autorités administratives
continuent de se frotter les mains.
© L’Oeil du Sahel : YVONNE SALAMATOU
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